Poème à prononcer

14 Jan

Alors oui
Vous m’avez eu
Une fois la seule
Dans une matinée de janvier
Mais je vous l’affirme
Putain vous m’aurez plus

Alors oui
L’effroi
Alors oui
Toutes les larmes de mon corps
Alors oui
Désormais je dois poursuivre avec une brèche
Béante
Et j’écris déjà qu’elle ne se refermera pas
Jamais

D’ailleurs
Tout de suite
La fureur
L’insurrection
Dans la chair
Rejaillissent
Comme un défibrillateur sur ma poitrine
Car vous n’aurez rien d’autre

Face à cela
À tout cela
Retrouver prairies et clairières
Regagner l’espace des grands songes dévorants
Réinsuffler le fragile
Chanter à nouveau
Réaffirmer l’éblouissement de l’amour
Se lever et dire aux autres le caractère intrinsèquement indomptable de la
lllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllll  [Liberté
Recouvrer l’élan
Devenir l’inextinguible subversion parmi les bruits du Monde
Extraire la substance
Plonger

Parce que la simple ligne d’un baiser peut déjouer les pièges
Parce que le désir et le sensuel
Parce que l’insolence et le sauvage
De ces corps
De ces êtres

Parce que je savais mal l’incompressible force d’un éclat de rire
Parce que vous m’avez fait comprendre la puissance de l’encre

Donc avoir
Au temps d’Harmonie
Comme
Horizon et volonté

La détermination aussi

Alors oui
Aujourd’hui
Brûlant
Entre pleurs et rage
Je vous le confirme
Putain vous m’aurez plus.

 

Victor Simonnet
A Bruxelles
Du 07/01/2015 au 14/01/2015

#JeSuisCharlie

8 Jan

En hommage à Charlie Hebdo.

Dessin Charlie Hebdo

En hommage à Charlie Hebdo © Victor Simonnet & Rotsky

 

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« Et s’il devait n’en rester qu’un, je serai celui-là ! »

15 Nov

Nous connaissons tous un vers de ce poème de Victor Hugo tiré de son recueil Les Contemplations.

« Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
 
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
 
Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et, quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur. »

Nous connaissons tous Les Misérables, au moins de nom, ou Hernani.

Nous connaissons tous finalement le Victor Hugo littéraire, l’écrivain, le poëte, le chef de fil du romantisme.

Victor Hugo, c’est cela mais aussi bien plus. C’est ce que proposait de découvrir jusqu’à fin août l’exposition installée en sa maison, place des Vosges à Paris: le « Hugo politique ». Son parcours bien sûr, évoluant du jeune royaliste à l’autorité morale de l’extrême gauche à la fin de sa vie ; mais surtout l’influence de son œuvre littéraire sur ses idées politiques. C’est sans aucun doute une des clefs pour le comprendre, comment le politique est façonné par le littéraire, d’où son évolution.

« On n’en a jamais fini avec Victor Hugo, c’est un monde vous savez Victor Hugo, c’est un monde qui n’a pas cessé de s’élargir » dit Henri Guillemin en introduction de sa première émission consacrée au grand Homme sur la TSR. Son œuvre est prolifique, ses combats multiples.

Celui pour l’abolition de la peine de mort, pour lequel il écrira romans, articles et discours. Victor Hugo prend très tôt position contre la peine capitale d’abord avec la rédaction de son roman Le Dernier Jour d’un condamné en 1829, et ensuite celle de Claude Gueux en 1834, récit décrivant l’implacable mécanique menant un ouvrier à l’échafaud. C’est d’ailleurs à la fin de Claude Gueux qu’il écrira « La tête de l’homme du peuple, voilà la question. […] Cette tête de l’homme du peuple, cultivez-la, défrichez-la, arrosez-la, fécondez-la, éclairez-la, moralisez-la, utilisez-la ; vous n’aurez pas besoin de la couper ».

Alors qu’il est élu en 1848 à l’Assemblée constituante et 1849 à l’Assemblée législative, sur les bancs conservateurs, c’est pendant cette courte période que dure la IIème République qu’Hugo vire à gauche. Notamment avec un discours particulièrement éloquent prononcé le 9 juillet 1849, « Détruire la misère » (lu ici par la comédienne Audrey Vernon sur Ragemag). Cette préoccupation, cette lutte pour l’abolition de la misère ne cessera de grandir chez Victor Hugo. En 1845, il commence à écrire Les Misères, roman qui deviendra Les Misérables lors de sa publication en 1862.  Aussi après un voyage à Lille en février 1851, où il visita les caves de  Lille, ghetto ouvrier qui avait la particularité d’être souterrain contrairement à ceux des autres grandes villes, il écrira un discours qu’il ne prononcera pas, mais dont il s’inspirera pour rédiger le poème « Joyeuse vie » (lu aussi par Audrey Vernon ), cinglant cri d’indignation contre les conditions de vie de ces hommes, femmes et enfants qui peuplent ces caves. Plus tard en 1872, dans un poème de L’Année terrible intitulé « Les fusillés », où Victor Hugo dénonce les massacres de la Commune, il écrira :

« Hélas ! faisons aimer la vie aux misérables.
Sinon, pas d’équilibre. Ordre vrai, lois durables,
Fortes mœurs, paix charmante et virile pourtant,
Tout, vous trouverez tout dans le pauvre content. »

Dans ce même poème, il conclut par ces vers d’une extrême gravité:

« Et qu’il faut trembler, tant qu’on n’aura pu guérir
Cette facilité sinistre de mourir. »

Car si Hugo s’était montré hostile à la Commune en dénonçant « une bonne chose mal faite »[1] , dès qu’il apprend les représailles de Versailles contre Paris, avec notamment la Semaine sanglante, il offre son toit bruxellois comme refuge aux Communards dans une lettre publié le 27 mai 1871. Mais cinq jours plus tard, il doit partir se faisant expulser de Belgique par les autorités du pays. Dès son élection au Sénat en 1876, il ne cessera de plaider pour l’amnistie complète des Communards, amnistie votée en 1880.

Cependant la facette la plus méconnue de l’Homme politique, facette qui peut paraître surprenante pour celui qui ne cesse de proclamer qu’il croit en Dieu, reste le Hugo anticlérical plaidant dès janvier 1850 à l’Assemblée législative pour une instruction laïque, gratuite et obligatoire. Ainsi dans « Paris et Rome », préface à Acte et Paroles III, il écrit ceci: « S’emparer de l’éducation, saisir l’enfant, lui remanier l’esprit, lui repétrir le cerveau, tel est le procédé ; il est redoutable. Toutes les religions ont ce but : prendre de force l’âme humaine ».

Mais Victor Hugo, c’est encore un fervent opposant de la censure, un défenseur des droits de l’enfant, comme des droits de la femme, « cette mineure selon la loi, cette esclave selon la réalité »[2], sous l’influence de Louise Michel avec qui il entretient une correspondance.

Victor Hugo, c’est un monde, un monde qui dialogue toujours avec le nôtre, tant la modernité de sa pensée et de ses combats ancre son œuvre dans notre présent.


P.S. : Référence du titre de l’article : Victor Hugo, « Ultima Verba », Les Châtiments, 1853.

[1] Dans une lettre adressée à ses amis  MM. Meurice et Vacquerie datant de juillet 1871, qui sera publiée le 6 mars 1872 dans le journal Le Rappel, Victor Hugo écrit « La Commune est une bonne chose mal faite ».

[2] Victor Hugo, « La Femme – À M. Léon Richer, rédacteur en chef de l’Avenir des femmes », 8 juin 1872, Paris

Happy Blasphemy Day !

30 Sep

Parce que les intégrismes de toutes les religions progressent partout dans le monde. Parce que les intégrismes menacent toutes les libertés et en particulier la liberté d’expression. Parce que blasphémer est un droit interdit dans plusieurs pays. Parce que l’anticléricalisme est un combat de ce siècle. Parce que comme l’a dit François Morel dans une de ses chroniques sur France Inter: « Pouvoir rire de tout, ce n’est pas rien ». Alors juste pour pouvoir rire de ces intégrismes et pour le plaisir de les tourner en dérision, voici quelques dessins… Happy Blasphemy Day & Enjoy !

1

Luz, Hors-Série Charlie Hebdo, Avril-Mai 2011, « Le féminisme est un humanisme ».

2

Mix & Remix, une de Siné Mensuel n°18, Mars 2013.

3

Carali, Siné Mensuel n°19, Avril 2013.

 4

Willis from Tunis, Siné Mensuel n°8, Avril 2012.

5

Berth, Siné Mensuel n°15, Décembre 2012.

6

Berth, Siné Mensuel n°22, Juillet-Août 2013.

 7

Philippe Geluck, Siné Mensuel n°15, Décembre 2012.

Le jour où l’UMP a perdu Nicolas Sarkozy

22 Mar

Il est difficile d’échapper depuis ce matin aux nombreuses réactions des ténors de l’UMP à la mise en examen de Nicolas Sarkozy pour abus de faiblesse dans l’affaire Bettencourt. Ainsi, Henri Guaino considérait sur Europe 1 que le juge Gentil, chargé du dossier « a déshonoré la justice » et lui demande de « venir devant les Français [pour] leur expliquer » alors que le secret de l’instruction existe. Pour Patrick Balkany sur RMC « Cette mise en examen ne semble pas être dénuée d’arrière-pensées politiques » avant de laisser s’échapper « Je vous emmerde » à l’avocat de l’ex-majordome de Liliane Bettencourt. Nathalie Kosciusko-Morizet, quant à elle, exprime dans un communiqué sa « grande incompréhension », jugeant que « rien ne [lui] paraît plus difficile à croire qu’imaginer Nicolas Sarkozy se livrer à un abus de faiblesse sur une vieille dame ». Beaucoup d’élus UMP ont aussi réagi  sur Twitter à l’instar des députés François Fillon, Eric Ciotti ou Lionel Lucca où de David-Xavier Weiss, secrétaire national de l’UMP « en charge des Industries de la presse ».

Capture 1

Capture 2

Des attaques contre la justice à la théorie du complot, comment expliquer la nature des réactions à l’UMP ?

Rappelez-vous, c’était fin 2011, le monde entier découvrait stupéfait les images de Nord-Coréens pleurant la mort de leur dirigeant Kim Jong-Il. Comment était-ce possible qu’un peuple maltraité pleure le décès de celui-ci qui le condamnait ? Libération avait à l’époque interrogé Barthélémy Courmont, professeur de science politique à Hallym University en Corée du Sud et spécialiste de la Corée du Nord sur le sujet. Il disait alors : « Malheureusement, on peut y croire. Il y a sans doute beaucoup de sincérité. Un véritable culte lui était voué. A lui, mais à son père aussi, qui a été déclaré Président pour l’éternité à sa mort en 1994. Kim Jung-sung était le bâtisseur de la nation nord-coréenne, Kim Jong-il était la mère, toujours représenté de manière grave, protecteur. Il a eu 17 années de pouvoir très difficile et a incarné la résistance acharnée contre l’étranger auprès d’un peuple qui n’a aucune connaissance de ce qui se passe vraiment et qui se sent désormais comme orphelin ».

Sincérité, le mot est dit. Et les réactions des cadres de l’UMP à la nouvelle de la mise en examen de Nicolas Sarkozy, ne sont pas moins sincères. En effet, pendant les cinq ans de son mandat présidentiel, Nicolas Sarkozy a tellement personnalisé l’exercice du pouvoir, effet accentué par son omniprésence médiatique, que les personnalités de l’UMP ne peuvent se résoudre à la perte de leur chef. Personnalisation déjà lorsqu’il a présidé l’UMP de 2004 à 2007, parti qu’il a laissé en 2012 exsangue et hystérisé dont une des conséquences est la catastrophe qu’a constituée l’élection pour la présidence de l’UMP en novembre dernier. Tous sont orphelins de celui dont ils pensaient qu’il pourrait faire son retour en politique. La chute avait déjà été rude lors que Nicolas Sarkozy avait perdu l’élection présidentielle face à François Hollande, mais un espoir était tout de même permis. Là, avec sa mise en examen dans l’affaire Bettencourt, l’hypothèse d’un retour providentiel semble définitivement compromise alors que les mêmes médias qui restaient relativement silencieux aux révélations de Médiapart tournent aujourd’hui en boucle sur le sujet. Au regard, enfin, des nombreuses affaires que Nicolas Sarkozy va encore devoir affronter : Karachi, Libye, sondages de l’Elysée…

Reste que comme l’écrit Daniel Schneidermann dans sa chronique quotidienne : « C’est peut-être le seul moment où, dépouillés de leurs éléments de langage, ils [les politiques] se révèlent tels qu’ils sont. »

Non Habemus Papam ou l’histoire d’un non-événement

14 Mar

L’air ce matin est légèrement asphyxiant, sans doute à cause de la fumée blanche s’échappant de la cheminée de la chapelle Sixtine hier et sans doute aussi à cause des médias qui traitaient du sujet. Hier soir donc nombre de médias titraient leurs articles « Habemus Papam » comme France Inter ou affichaient un petit logo du même acabit tels I-Télé ou France 2. Semblant tous avoir oublié que « habemus papam » se traduit en français par « nous avons pape », nous étant l’Eglise catholique. Alors pourquoi des médias non-catholiques et parfois publics se sont-ils découvert une telle appétence en proclamant fièrement « Habemus Papam » au mépris de toute neutralité ? La réponse est surement à chercher dans l’urgence du direct et dans l’emploi habituel de l’expression. Mais de la part de médias du service public, financés par un Etat laïc, la France, cela peut paraître un peu choquant.

Mais au fait, qui est-il ce nouveau pape ? Il s’appelle désormais François, mais avant son élection c’était Jorge Mario Bergoglio, 76 ans, archevêque de Buenos Aires. Mais alors d’où vient cet engouement médiatique pour ce nouveau pape ? Son grand âge, sa nationalité (c’est le premier pape latino-américain) ? Non. Ses liens troubles avec la dictature argentine ? Non et pourtant cela mériterait qu’on s’y intéresse alors que fleurissement sur Twitter plusieurs photos de Bergoglio en compagnie du général Videla (par exemple Edwy Plenel en a retweeté une sur son compte alors que Pascal Riché s’interroge sur son authenticité). En effet, Bergoglio aurait été complice de l’enlèvement de deux prêtres Orlando Yorio et Francisco Jalics torturés par la junte argentine. Tandis que la justice française voudrait aussi l’entendre sur le meurtre du prêtre français Gabriel Longueville.

L’originalité du nouveau pape est-elle à chercher du côté de ses positions idéologiques ? Non plus, Bergoglio est très rétrograde. Que ce soit sur l’homosexualité dont il disait que c’était « une manœuvre du diable », sur l’ouverture du mariage aux couples homosexuels ou sur l’avortement dont un article de Courrier International se fait l’écho (à lire ici). En somme, juste un pape certes argentin mais toujours réactionnaire à la tête d’une organisation d’un milliard deux cents millions de fidèles, organisation toujours rongée par les scandales de pédophilie. Le véritable événement n’eût-il pas été l’élection d’un pape progressiste sur ces questions ? Les médias ont leurs raisons que la raison ignore.

Des rencontres…et des utopies

3 Mar

Il y a deux semaines (les 16 et 17 février), avaient lieu les 2èmes rencontres du livre et du citoyen à Royan, organisées par la section locale de la LDH (Ligue des Droits de l’Homme). La question posée était : l’utopie a-t-elle encore de l’avenir ? Sans présager de la réponse qui apparaît comme une évidence à l’auteur de ces lignes, ces rencontres ont été l’occasion de nombreuses découvertes.

Affiche

L’affiche de cette 2ème édition

De la littérature adulte (roman ou essai) à la littérature jeunesse en passant par la BD et même le documentaire, de nombreux auteurs avaient été conviés. Découvrir des économistes qui pensent leur discipline de manière différente tels que Bruno Théret parlant de « monnaie-temps » ou Gilles Allaire d’agroécologie lors de la première table-ronde. Bruce Bégout (philosophe, écrivain et professeur à Bordeaux 3) discutant des dystopies et en particulier de 1984 de George Orwell (sur lequel il a écrit De la décence ordinaire). Le dessinateur A.Dan nous présentant sa BD Thoreau – La vie sublime, biographie du philosophe américain, père de la désobéissance civile et précurseur de l’écologie politique. Mais aussi écouter Marie Cosnay (A notre humanité) et Patricia Cottron-Daubigné (Croquis-Démolition) échanger sur leurs livres respectifs.  Assister à la quatrième table-ronde qui interrogeait la notion de frontière en compagnie de Michel Agier (ethnologue, auteur de La condition cosmopolite), de l’universitaire James Cohen (A la poursuite des « illégaux ». Politiques et mouvements anti-immigrés aux Etats-Unis) et l’écrivain Mickaël Ferrier (Fukushima, récit d’un désastre). Ou enfin aller à la projection de ce documentaire remarquable qu’est Tous au Larzac en présence de son réalisateur.

Mais outre cet aspect conventionnel à mi-chemin entre le dialogue et l’entretien, cet événement porte bien son nom. Car c’était avant tout de rencontres dont il s’agissait ou du moins d’avoir la possibilité de la rencontre comme celles dont Albert Jacquard fait l’éloge dans son livre Mon utopie. Ainsi, pouvoir demander des précisions d’anthropologie à Michel Agier ou sur les relations entre les Etats-Unis et le Mexique à James Cohen. Partager un moment de poésie avec Patricia Cottron-Daubigné ou faire la connaissance de Marie Cosnay. Car c’est aussi cela la rencontre. Et c’est peut-être le plus essentiel. Sans doute aussi parce que le format de ces rencontres le permettait.

Cumul des mandats : les oublis de la commission Jospin

16 Déc

Le 09 novembre 2012 la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique dite « commission Jospin » rendait son rapport (en intégralité ici)  au Président de la République (le récit de la scène par le photographe de Libération Sébastien Calvet est ) avec notamment une proposition phare sur le cumul des mandats. Alors que François Hollande terminera ses consultations sur les conclusions de ce rapport le 18 décembre prochain, il paraît essentiel de s’intéresser aux dits et non-dits de ce document sur le sujet.

 

La fin du cumul des mandats, vraiment ?

 

Pendant la campagne présidentielle, François Hollande écrivait dans l’engagement 48 de son projet « Je ferai voter une loi sur le non-cumul des mandats ». Le 16 juillet 2012, devenu Président de la République, il charge la commission Jospin « de formuler des propositions permettant d’assurer le non cumul des mandats de membres du Parlement ainsi que des fonctions ministérielles avec l’exercice de responsabilités exécutives locales ». Dans son rapport, la commission fait deux propositions pour que la France rompe « avec sa vieille habitude du cumul des mandats » (p54).

Premièrement, l’interdiction pure et simple de cumuler une fonction ministérielle avec un mandat local. Ce qui paraît, somme toute, logique au regard de l’article 20 de la Constitution de 1958 qui dit que « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation ». En effet, même non-élus mais nommés par le Président de la République, les membres du Gouvernement doivent déterminer et conduire la politique de la Nation toute entière(démonstration comparable à celle déjà tenue ici pour le député). Un ministre ne doit donc pas avoir d’attache locale, de quelque sorte qu’il soit, pour ne pas favoriser la commune, le département ou la région dans lesquels il serait élu.

Deuxièmement, la commission observe que « 476 députés sur 577 (82%) et 267 sénateurs sur 348 (77%) sont en situation de cumul » (p58) et propose de « Rendre incompatible le mandat parlementaire avec tout mandat électif autre qu’un mandat local simple » (p61). Elle ne préconise donc pas l’interdiction stricte du cumul des mandats pour les parlementaires (le mandat unique) mais seulement de le rendre compatible avec les mandats de conseiller régional, conseiller général ou de simple conseiller municipal tout en précisant que le parlementaire « ne percevrait, au titre de ce mandat local, aucune rémunération » (p61). La commission justifie cela par une volonté de changer la pratique en la matière mais sans brusquer les choses (paragraphe 6, page 60). De plus, la commission ne fait pas de différence de traitement entre les députés et sénateurs, car pour elle, « le premier alinéa de l’article 24 de la Constitution, qui définit les missions du Parlement, ne fait aucune différence entre celles de l’Assemblée nationale et celles du Sénat » (p62). Or, dans le cas du cumul des mandats, le sujet n’est pas les missions du Parlement mais bien ce que représente les deux chambres qui le composent. L’Assemblée nationale ne doit représenter que la Nation (cf. précédent article) tandis que le Sénat, selon article 24 de la Constitution de 1958, « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». En outre, il faut rappeler que dans un Etat unitaire comme la France, le Parlement peut n’être constitué que d’une seule chambre (comme au Portugal ou comme le prévoyait le projet de Constitution française de 1946 rejetée par référendum), la France n’ayant pas d’Etats fédérés qui justifient obligatoirement une deuxième chambre parlementaire (contrairement à l’Allemagne avec le Bundesrat). C’est pourquoi la différenciation entre l’Assemblée Nationale et le Sénat doit être d’autant plus forte. Il serait donc logique d’interdire de manière stricte le cumul des mandats aux députés et de rendre obligatoire le cumul du mandat de sénateur avec un mandat local. C’est d’ailleurs ce que dit dans son opinion séparée, le juriste Dominique Rousseau en proposant: « un Sénat refondé comme Assemblée de territoires composée de sénateurs qui sont obligatoirement des élus locaux » et un « mandat unique pour les députés et non mandat cumulé avec un mandat local » (p111).

Les deux propositions de la commission sur le cumul des mandats sont donc des propositions prudentes en la matière et peuvent sans doute être imputables à sa volonté de suivre à tout prix l’esprit de la lettre de mission de François Hollande.

 

Une réflexion inachevée

 

Sauf qu’à vouloir être au plus proche de la lettre de mission de François Hollande, la commission Jospin laisse des impensés demeurer. Sur le cumul des mandats, ils sont au nombre de deux.

Ainsi pour justifier ses propositions sur le cumul des mandats, la commission met en avant que « l’importance des fonctions électives locales soit pleinement reconnue »  (p56), argument qu’elle réitère page 60 de son rapport. Cependant, même si la commission plaide pour une reconnaissance pleine et entière du mandat local, elle ne va pas au bout de son raisonnement. En effet, la commission ne va pas jusqu’à proposer l’interdiction du cumul de deux mandats locaux. Pourtant, il n’est pas rare de voir des conseillers municipaux être aussi conseiller généraux ou régionaux. Il en existe de nombreux exemples comme celui de Jean-Paul Huchon, actuellement président de la région Île-de-France et conseiller municipal délégué de la commune de Conflans-Sainte-Honorine. La fonction que Jean-Paul Huchon y occupe est d’autant plus intéressante puisqu’en plus d’avoir dans ses attributions le « Développement de la ville », il est également chargé des « Relations avec les institutions ». La commune de Conflans-Sainte-Honorine peut donc, grâce à Jean-Paul Huchon, faire valoir ses intérêts au sein du conseil régional d’Île-de-France, une chance que n’ont pas toutes les autres communes de la région. Cette illustration permet de mieux saisir les intérêts divergents qui s’affrontent au niveau local. Le non-cumul des mandats appliqué au niveau local permettrait donc d’éviter ce genre de conflit d’intérêt et ainsi reconnaître l’importance du mandat et de la démocrate locale. Néanmoins, le fait d’être conseiller municipal et délégué communautaire ne rentre pas dans cette considération car à l’heure actuelle seuls les conseillers municipaux sont éligibles pour assurer la fonction de délégué communautaire (ce que ne prévoit pas de changer le projet de loi sur le sujet, cf. titre II chapitre II du projet). Ce qui parait logique, compte-tenu du fait qu’un conseiller municipal élu délégué communautaire va défendre les intérêts de sa commune au sein de la communauté de commune, communauté d’agglomération, communauté urbaine ou métropole à laquelle il appartient.

Le second impensé de la commission est l’autre acception du cumul des mandats, c’est-à-dire le cumul des mandats dans la durée. La Constitution de 1958 réglemente déjà ce type de cumul pour le Président de la République en son article 6 alinéa 2: « Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». Mais pour les autres mandats, la Constitution et la loi sont silencieuses sur le sujet. Pourtant aujourd’hui beaucoup d’hommes et de femmes politiques pratiquent ce type de cumul. Par exemple Jean-Marc Ayrault, actuel Premier ministre est élu et réélu sans discontinuité député depuis 1986 (y compris pour la législature 2012/2017) et a été maire de Nantes de 1989 à 2012 (devenant simple conseiller municipal depuis sa nomination à la tête de Gouvernement). En tout, Jean-Marc Ayrault aura exercé plus de trois mandats pleins en tant que maire et plus de cinq mandats pleins en tant que député. Le cas de notre actuel Premier Ministre est symptomatique du non-renouvellement du personnel politique et de la vision par la classe dirigeante de l’exercice des responsabilités politiques. En outre, la situation de Jean-Marc Ayrault montre bien le caractère pervers de cette dérive qu’il faut limiter. De nombreux autres exemples de « longévité » existent. Si une limitation des mandats dans la durée était instituée avec un maximum de deux mandats consécutifs (pour les députés, sénateurs, les maires, les conseillers généraux et les conseillers régionaux), le renouvellement de la classe politique serait sans commune mesure avec celui issu de la définition du cumul des mandats. A titre d’exemple, en interdisant aux maires des communes de plus de 2000 habitants, dont le nombre est estimé entre 4300 et 5000, de ne faire plus de deux mandats, cela créerait un « turn-over » de plus de 2000 élus tous les 6 ans. La généralisation du principe énoncé à l’article 6 alinéa 2 de la Constitution de 1958 à tous les types de mandats serait en cela une bonne chose et une mesure de salubrité publique.

La commission Jospin, bornée par une lettre de mission de François Hollande trop restrictive par rapport à la nécessaire réflexion qu’imposait son engagement de campagne, n’a donc pas voulu ou réussi à élargir les horizons de sa pensée.  Cela donne alors un rapport a minima sur le cumul des mandats comme sur les autres sujets, tel que l’introduction d’une (trop faible pour être pertinente) part de proportionnelle aux élections législatives de 2017.

Article du 01/06/2012 « Le parachutage, un faux problème ? » publié sur Mediapart

20 Nov

A quelques jours du premier tour des élections législatives, le 10 juin prochain émergent les traditionnelles polémiques autour des parachutages. Axel Kahn, qui se présente dans la 2èmecirconscription de Paris sous les couleurs du PS dénonce le plus médiatique d’entre eux, celui de l’ancien Premier Ministre François Fillon élu initialement dans la 4ème circonscription de la Sarthe. Mais la pratique qu’on appelle le parachutage est-il un véritable problème ?

Le député, représentant de la Nation

Bien qu’élu dans un cadre géographiquement déterminé, la circonscription, chaque député est le représentant de la Nation toute entière. Ce principe découle de l’article 3 de la Constitution de 1958 qui dit que « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants ». Si l’on remonte dans le temps, cela fait référence à l’article 3 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 selon lequel « Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. ». Cela signifie que tout pouvoir politique émane de la Nation toute entière, c’est-à-dire le peuple souverain. Ce principe est d’ailleurs inscrit de manière expresse dans la Constitution de l’An I (24 juin 1793) : « Chaque député appartient à la nation entière. » et sera repris dans l’ensemble des textes constitutionnels démocratiques jusqu’à maintenant. La conséquence directe de cela est qu’un candidat à la députation n’est pas obligé de résider dans la circonscription dans laquelle il se présente. Le parachutage est donc théoriquement un faux problème.

Le député, élu local

Mais après la théorie vient la pratique et il se trouve que dans la législature 2007/2012 503 députés sur 577 ont en plus de leur mandat parlementaire au moins un mandat local. En effet, 322 députés cumulent deux mandats, 148 en cumulent trois et 23 en cumulent quatre (source Le Monde ici). Le député est donc aussi un élu local, c’est pourquoi la question du parachutage est plus complexe. Cette situation est d’ailleurs paradoxale compte-tenu du fait que le député doit être un représentant de la Nation toute entière et non des territoires. D’ailleurs sous la Vème République, la représentation des territoires est le rôle des sénateurs. L’article 24 de la Constitution de 1958 précise que le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République. ». Dés lors ce mélange des genres apparait d’autant plus illégitime. Et Axel Kahn parait donc fondé à critiquer le parachutage de François Fillon dans la 2ème circonscription de Paris quand on sait que ce-dernier se positionne pour briguer la mairie de Paris en 2014.  La solution serait alors la suppression du cumul des mandats. C’est une des promesses de campagne du Président actuel François Hollande pour qui « Un parlementaire ne pourra plus être membre d’un exécutif local. ». Dans sa déclaration, François Hollande, semble vouloir appliquer cette interdiction aux sénateurs, ce qui serait un non-sens à la vue de l’article 24 de la Constitution de 1958 précédemment cité. Cependant cette mesure ne règle pas la question du manque de cohésion entre le mode d’élection d’un député et le devoir de représentation de la Nation toute entière.

Circonscription et mode de scrutin

Aujourd’hui beaucoup d’élus considèrent la politique comme un métier et y font carrière. Dans la hiérarchie des mandats, celui de parlementaire et plus particulièrement celui de député en constitue généralement le sommet. La carrière d’un politique commence donc le plus souvent par un mandat municipal. Et au fur et à mesure qu’il gravit les échelons de cette hiérarchie, il développe une assise locale, assise dont il se sert aisément pour conquérir la circonscription dans laquelle il se présente à la députation. L’accusation de parachutage pourra donc toujours être utilisée comme argument par le candidat local à l’encontre du candidat débarqué. Et c’est bien le mode de scrutin et le type de circonscription qui en découle qui en sont la cause. Pour rappel, à l’heure actuelle, les députés sont élus au suffrage universel direct par un scrutin majoritaire uninominal à deux tours dans chaque circonscription. Ce mode se scrutin et le genre de circonscription qui s’y rattache a pour conséquence de produire un comportement politique particulier chez les députés. Chaque député va se retrouver à l’Assemblée Nationale à défendre les dossiers qui touchent les communes de sa circonscription, ce qui est contraire au devoir de représentation de la Nation toute entière. Cela pourrait changer, si pour les élections législatives, il y avait l’instauration d’un scrutin proportionnel intégral (comme pour les élections de 1986) ou partiel comme l’a promis François Hollande pour les élections de 2017. Le candidat Hollande s’était engagé pendant la campagne à instituer « une part de proportionnelle » aux élections législatives de 2017, ce qui aboutirait à un changement de dimension de la circonscription électorale. Si cette promesse est tenue, la circonscription pour les élections législatives pourrait devenir le département (comme pour les élections de 1986) ou même la région. Ce qui permettrait, si la dose de proportionnelle est assez importante pour être significative, d’en finir avec la polémique des parachutages et d’avoir une meilleure représentation de la Nation.