Nous connaissons tous un vers de ce poème de Victor Hugo tiré de son recueil Les Contemplations.
« Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et, quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur. »
Nous connaissons tous Les Misérables, au moins de nom, ou Hernani.
Nous connaissons tous finalement le Victor Hugo littéraire, l’écrivain, le poëte, le chef de fil du romantisme.
Victor Hugo, c’est cela mais aussi bien plus. C’est ce que proposait de découvrir jusqu’à fin août l’exposition installée en sa maison, place des Vosges à Paris: le « Hugo politique ». Son parcours bien sûr, évoluant du jeune royaliste à l’autorité morale de l’extrême gauche à la fin de sa vie ; mais surtout l’influence de son œuvre littéraire sur ses idées politiques. C’est sans aucun doute une des clefs pour le comprendre, comment le politique est façonné par le littéraire, d’où son évolution.
« On n’en a jamais fini avec Victor Hugo, c’est un monde vous savez Victor Hugo, c’est un monde qui n’a pas cessé de s’élargir » dit Henri Guillemin en introduction de sa première émission consacrée au grand Homme sur la TSR. Son œuvre est prolifique, ses combats multiples.
Celui pour l’abolition de la peine de mort, pour lequel il écrira romans, articles et discours. Victor Hugo prend très tôt position contre la peine capitale d’abord avec la rédaction de son roman Le Dernier Jour d’un condamné en 1829, et ensuite celle de Claude Gueux en 1834, récit décrivant l’implacable mécanique menant un ouvrier à l’échafaud. C’est d’ailleurs à la fin de Claude Gueux qu’il écrira « La tête de l’homme du peuple, voilà la question. […] Cette tête de l’homme du peuple, cultivez-la, défrichez-la, arrosez-la, fécondez-la, éclairez-la, moralisez-la, utilisez-la ; vous n’aurez pas besoin de la couper ».
Alors qu’il est élu en 1848 à l’Assemblée constituante et 1849 à l’Assemblée législative, sur les bancs conservateurs, c’est pendant cette courte période que dure la IIème République qu’Hugo vire à gauche. Notamment avec un discours particulièrement éloquent prononcé le 9 juillet 1849, « Détruire la misère » (lu ici par la comédienne Audrey Vernon sur Ragemag). Cette préoccupation, cette lutte pour l’abolition de la misère ne cessera de grandir chez Victor Hugo. En 1845, il commence à écrire Les Misères, roman qui deviendra Les Misérables lors de sa publication en 1862. Aussi après un voyage à Lille en février 1851, où il visita les caves de Lille, ghetto ouvrier qui avait la particularité d’être souterrain contrairement à ceux des autres grandes villes, il écrira un discours qu’il ne prononcera pas, mais dont il s’inspirera pour rédiger le poème « Joyeuse vie » (lu aussi par Audrey Vernon là), cinglant cri d’indignation contre les conditions de vie de ces hommes, femmes et enfants qui peuplent ces caves. Plus tard en 1872, dans un poème de L’Année terrible intitulé « Les fusillés », où Victor Hugo dénonce les massacres de la Commune, il écrira :
« Hélas ! faisons aimer la vie aux misérables.
Sinon, pas d’équilibre. Ordre vrai, lois durables,
Fortes mœurs, paix charmante et virile pourtant,
Tout, vous trouverez tout dans le pauvre content. »
Dans ce même poème, il conclut par ces vers d’une extrême gravité:
« Et qu’il faut trembler, tant qu’on n’aura pu guérir
Cette facilité sinistre de mourir. »
Car si Hugo s’était montré hostile à la Commune en dénonçant « une bonne chose mal faite »[1] , dès qu’il apprend les représailles de Versailles contre Paris, avec notamment la Semaine sanglante, il offre son toit bruxellois comme refuge aux Communards dans une lettre publié le 27 mai 1871. Mais cinq jours plus tard, il doit partir se faisant expulser de Belgique par les autorités du pays. Dès son élection au Sénat en 1876, il ne cessera de plaider pour l’amnistie complète des Communards, amnistie votée en 1880.
Cependant la facette la plus méconnue de l’Homme politique, facette qui peut paraître surprenante pour celui qui ne cesse de proclamer qu’il croit en Dieu, reste le Hugo anticlérical plaidant dès janvier 1850 à l’Assemblée législative pour une instruction laïque, gratuite et obligatoire. Ainsi dans « Paris et Rome », préface à Acte et Paroles III, il écrit ceci: « S’emparer de l’éducation, saisir l’enfant, lui remanier l’esprit, lui repétrir le cerveau, tel est le procédé ; il est redoutable. Toutes les religions ont ce but : prendre de force l’âme humaine ».
Mais Victor Hugo, c’est encore un fervent opposant de la censure, un défenseur des droits de l’enfant, comme des droits de la femme, « cette mineure selon la loi, cette esclave selon la réalité »[2], sous l’influence de Louise Michel avec qui il entretient une correspondance.
Victor Hugo, c’est un monde, un monde qui dialogue toujours avec le nôtre, tant la modernité de sa pensée et de ses combats ancre son œuvre dans notre présent.
P.S. : Référence du titre de l’article : Victor Hugo, « Ultima Verba », Les Châtiments, 1853.
[1] Dans une lettre adressée à ses amis MM. Meurice et Vacquerie datant de juillet 1871, qui sera publiée le 6 mars 1872 dans le journal Le Rappel, Victor Hugo écrit « La Commune est une bonne chose mal faite ».
[2] Victor Hugo, « La Femme – À M. Léon Richer, rédacteur en chef de l’Avenir des femmes », 8 juin 1872, Paris
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